Si aujourd’hui, le renouveau de la scène cocktail a permis l’apparition explosive de dizaines et de dizaines de marques de bitters, jusqu’en 2004, à peine trois marques étaient disponibles. La faute à la Prohibition qui a détruit de nombreuses petites entreprises entièrement dévouées à créer ce qui a été toujours considéré comme l’un des éléments essentiels d’un cocktail : le bitter. À tel point que la première apparition officielle du mot « cock-tail », le 13 mai 1806, dans le journal The Balance and Columbian Repository y fait référence : « une base alcoolique, du sucre, de l’eau, et des… bitters ».
Tout simplement une infusion de plantes dans de l’alcool. Si les premiers exemples d’une telle pratique remontent à l’Antiquité égyptienne, elle revient à la mode au XVIIIè siècle en Angleterre où l’ajout d’herbes dans les vins importés d’Espagne est très fréquent et en France avec la célèbre Chartreuse. C’est au début du XIXème siècle que la pratique se généralise dans le Nouveau Monde. Dans un premier temps, les bitters sont essentiellement consommés comme des médicaments, car c’est surtout leurs vertus curatives qui sont mises en avant. Enfin surtout par leurs producteurs qui voient un bon moyen de vendre de l’alcool de manière « déguisée » et par leurs consommateurs, qui sous couvert de soigner leur mal de ventre ou de gorge se jettent un petit godet.
Les bitters deviennent une véritable industrie, avec de vrais succès comme le Abbott’s Bitters, basé à Baltimore (Maryland) présenté comme le bitters utilisé dans le premier cocktail Manhattan. Et comme dans toute industrie, des guerres acharnées se déroulent, l’une des plus célèbres opposant Abbott’s Bitters et Siegert à propos de la présence du mot Angostura dans leur nom (à la fois un ingrédient et la ville du Vénézuela où étaient confectionnés les bitters).
Premier coup de canif dans le petit monde des bitters : le Pure Food and Drug Act de 1906 qui décide de donner un gros coup de balai dans ces soi-disant médicaments alcoolisés qui affirment haut et fort pouvoir soigner n’importe quel mal.
Trois conséquences : une limite du taux d’alcool permettant de baisser la teneur de certains breuvages parfois très élevés, l’obligation d’indiquer quels étaient les ingrédients et l’interdiction de se faire passer pour un médicament (à moins de passer par le circuit habituel d’homologation).
Les plus charlatans disparaissent (adieu huile de serpent), certaines marques abandonnent le marché, et les plus prestigieuses en profitent pour clairement dire ce qu’elles sont : un élément de base des cocktails. Et de choisir donc leur place, derrière le bar, plutôt que dans une pharmacie.
Seulement, voilà les législateurs ne s’arrêtent pas là et votent le 18 octobre 1919 le Volstead Act qui marque le début officiel de la Prohibition (qui s’arrête le 5 décembre 1933). Si le Pure Food and Drug Act avait éclairci les rangs, là, c’est l’hécatombe à tel point que non seulement une grande partie des marques disparaissent, mais que la manière de consommer l’alcool évolue rapidement (ajout de jus de fruits, de sirops, etc) faisant disparaître la culture des bitters.
(à suivre)